Contre le mal-logement en ville, rénover dans les villages

habitaçaoSept Portugais sur dix sont touchés par le mal-logement. Pour tenter d’y remédier, des associations s’engagent dans des opérations de rénovation. Reportage dans un chantier solidaire et participatif au nord-est de Porto.


Loin du bouillonnement urbain et du sur-tourisme de Lisbonne, mais toutefois voisin de Braga la « Rome du Portugal », le village de Tadim et son millier d’âmes voit défiler un ballet de locaux et de touristes bien particuliers depuis près d’un an. Avec Projeto Reconstruir, l’ONG Domus a décidé d’agir en lançant un projet participatif via l’acquisition d’un terrain en périphérie d’une ville de plusieurs milliers d’habitants. L’objectif : accueillir six familles triées sur le volet. Nombre d’enfants par foyer, humidité et isolation du logement actuel, situation professionnelle, les innombrables critères de sélection du conseil de l’association recouvrent les maux dont souffre le Portugal aujourd’hui.

À travers un partenariat avec la Fuller Center for Housing, une ONG internationale venant en aide aux foyers les plus modestes pour la rénovation de leur logement, Projeto Reconstruir reçoit chaque mois plusieurs dizaines de bénévoles de l’Union européenne et des quatre coins du monde. « Les deux bénévoles que nous devions accueillir aujourd’hui ne sont pas venus… Mais on avance quand même ! », esquisse Aurélio Costa, coordinateur des bénévoles et de la communication pour l’ONG Domus. Vacillant à la moindre bourrasque de vent, la banderole blanche ornée du logo Projeto Reconstruir et de ses partenaires co-financeurs orne fièrement la place du village. Derrière, le chantier vit au rythme des perceuses et des coups de burin.

Le quadragénaire, adossé à un bureau monté à la hâte sur deux tréteaux, patiente encore quelques minutes avant de retourner au travail. « En général, j’accueille les bénévoles et je leur donne les instructions, explique Aurélio. Autrement, j’aide moi-même sur le chantier une fois par semaine. » Il passe quelques coups de fil au milieu d’une vaste salle jonchée de rails et de montants métalliques, illustrant les futures cloisons dessinées « pour des nouvelles vies ».

Six familles dans le besoin, dont quatre réfugiées et deux portugaises, seront relogées entre ces murs d’ici un an. À l’étage, trois appartements seront proposés, dont un surplombant la place du village. « Il y a un café juste en bas, et la gare à quelques minutes à pied », note Aurélio. Au rez-de-chaussée, trois autres appartements donneront sur une cour, aujourd’hui parsemée d’amas de béton. Les six familles vivent actuellement dans des logements « corrects, mais trop exigus et mal isolés » dans le centre-ville de Braga, détaille Aurélio. Il y dénonce des prix devenus trop élevés dans la cité historique pour les plus modestes, ainsi que la « mauvaise qualité » des logements. Une difficulté rencontrée par de nombreux citadins portugais. Une vingtaine de villes du pays ont vu défiler des manifestations contre à la crise du logement ces derniers mois. « Je m’en fiche si ça doit passer par des mesures de gauche, de droite, juste […] réglez le problème ! Les Portugais ont besoin de logements », appelait par exemple Beatriz auprès du média européen ENTR, en pleines élections législatives.

Au Portugal, sept habitants sur dix vivent dans un logement insalubre et mal isolé, selon une étude de l’institut Portal de Arquitetura e Construção Sustentável (PCS). Un défi majeur auquel l’association humanitaire Domus, à l’initiative du projet, a souhaité remédier. Mais elle ne peut s’appuyer que sur ses propres moyens : les dons des particuliers et l’engagement de bénévoles volontaires.

Des aides financières « insuffisantes »

« Une vague de rénovations pour l’Europe », annonçait la Commission européenne en 2020 pour l’ensemble de ses États membres. Un enjeu d’autant plus important dans ce pays où 66% des Portugais sont propriétaires de leur logement, selon l’institut PCS. À titre de comparaison, les propriétaires représentent 57% des Français, selon l’Insee en 2023. En France comme au Portugal, si l’impact de ces aides à la rénovation financées par l’Union européenne s’avère similaire, leur efficacité pour réduire le nombre des passoires thermiques est remise en question.

Avec son programme d’aide pour des bâtiments plus durables (Apoio a Edifícios mais Sustentáveis ou PAE+S), le ministère de l’Environnement et de l’Action climatique propose un remboursement partiel des travaux qui permettent un gain de performance énergétique, comme l’installation de nouvelles fenêtres ou d’un système de chauffage moins énergivore. Une aide qui peut atteindre 7 500 euros. Lancé en 2021, en même temps que son homologue français MaPrimeRénov’, le programme Apoio a Edifícios mais Sustentáveis a permis 70 454 rénovations énergétiques dans le pays pour près de 122,6 millions d’euros mobilisés depuis sa création, rapportait le magazine portugais Edifícios e Energia. Près de 1,7% des foyers portugais en auraient  bénéficié.

« Ces aides financières sont insuffisantes, clame Maria João Costa, responsable de l’association Habita, qui milite pour le droit à un logement décent pour tous. Mais, il est surtout très difficile d’obtenir un logement dans une ville comme Lisbonne. » Aujourd’hui, Habita manque de bénévoles et bataille pour tenter de faire changer les choses. « Nous avons beaucoup de travail en ce moment. […] Nous recevons beaucoup de demandes auxquelles nous n’avons pas de solutions », conclut Maria.

Fier, Aurélio dépeint une association qui a permis en quinze ans la rénovation de près d’une centaine de maisons dans le nord du Portugal. «Les familles qui nous sollicitent vivent généralement dans des logements insalubres», souligne Aurélio. Avant d’ajouter : « elles vivent parfois dans de mauvaises conditions, parfois sans une salle de bain correcte, ni eau chaude. Elles ne peuvent pas envisager de rénover leur logement. »

« Il s’agit d’améliorer au mieux leurs conditions de vie »

« Les familles doivent participer au projet. […] Elles viennent le week-end pour aider les bénévoles internationaux », poursuit Aurélio. Aujourd’hui, Abdu, le neveu d’une des deux familles de réfugiés syriens est présent pour aider bénévolement.

« Je parle avec lui grâce à Google Traduction »

Aurélio Costa

« Il ne parle ni portugais, ni anglais, ni français. Seulement arabe et turc. Je parle avec lui grâce à Google Traduction », explique Aurélio, lâchant un léger sourire en retournant à son plan de travail de l’autre côté de la future cour de la bâtisse. « Je pense qu’il a eu une expérience précédente en construction. On peut lui dire grossièrement ce qu’il doit faire, et il sait bien le faire », glisse-t-il. Abdu, du haut de son échelle, ne souhaite pas échanger quelques mots, mais parle avec son regard.

Afin que le projet tienne la route, Domus s’est aussi allié avec l’ONG Meeru pour l’accueil des quatre familles réfugiées, en plus de la Fuller Center for Housing et sa main d’œuvre humanitaire internationale lui permettant de réduire les coûts. Un projet en apparence idéal. Si les familles relogées bénéficieront d’un logement moins cher et plus adapté à leur foyer, qu’en est-il de la promesse d’une réduction des factures d’énergie, en pleine crise énergétique depuis la guerre en Ukraine ? « Il s’agit d’améliorer au mieux leurs conditions de vie et la qualité de leur habitat avec une meilleure isolation, une meilleure rétention d’une température confortable dans le logement ou sur la réduction de l’humidité », argue Aurélio. L’objectif : pouvoir proposer un logement décent et performant, tout en gardant à l’esprit qu’il y a « un budget à tenir » pour permettre d’offrir « un loyer abordable » aux familles.

Il ne lésine pas sur l’importance de matériaux isolants efficaces, tâtant les rouleaux de laine minérale pour l’isolation intérieure et les combles. « Nous installerons aussi des panneaux de polyuréthane sur les murs extérieurs pour conserver au mieux la chaleur des logements l’hiver, et leur fraîcheur l’été ». Dans le pays, plus des deux tiers des habitations ne respectent pas les normes minimales d’isolation thermique, selon le distributeur d’énergie portugais Energias de Portugal (EDP).

Aujourd’hui, le chantier Projeto Reconstruir vit du soutien de bénévoles internationaux et locaux, sans trop compter sur les « faibles aides » du gouvernement. « Nous avons candidaté à un programme du Fonds social européen qui nous permet de financer quelques matériaux. Mais c’est tout », ajoute Aurélio devant l’entrée temporaire de la bâtisse. Durant les prochains mois, Tadim verra encore une vague de bénévoles internationaux déferler chaque semaine sur le chantier jusqu’au mois de mai. Au programme : « quelques murs à démolir » et une charpente à terminer avant l’installation des familles dans un an.

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