À Nazaré, l’économie locale surfe sur les grosses vagues

: macaréu Depuis 2011, les vagues géantes surfées à Nazaré font la renommée de la ville à l’international. Autrefois, ces vagues colossales de plusieurs dizaines de mètres terrorisaient les pêcheurs. Désormais, certains locaux ont su s’emparer de cette particularité pour gagner leur vie.


À Nazaré, sous le soleil du mois de mars, la saison des grandes vagues touche à sa fin. Depuis quelques semaines, l’océan a troqué sa déferlante pour une accalmie, offrant un horizon bleu turquoise à perte de vue. Les vagues du jour ne dépassent pas les deux mètres de haut. Malgré l’absence de houle, les touristes continuent d’affluer au fort surplombant la ville portugaise. 

Ce farol offre une vue imprenable sur les vagues qui font la notoriété de Nazaré. Lorsque l’océan se réveille, plusieurs milliers de personnes peuvent se presser sur la jetée. Fin 2023, la barre des deux millions de visiteurs a été dépassée depuis son ouverture en 2012. La force de l’océan reste impressionnante en toute saison. Depuis le phare rouge, des dizaines de touristes suivent justement du regard un surfeur tracté par un jet-ski décidé à attraper une vague.

Même en l’absence de vagues, Nazaré attire des touristes du monde entier toute l’année. 
(Photo : Coralie Lamarque)

Ces vagues, pouvant frôler les 30 mètres de haut l’hiver, se forment grâce à la géologie unique du lieu. Un canyon sous-marin, atteignant jusqu’à 5 000 mètres de profondeur, commence au bout du promontoire où se trouve le phare. De la rencontre entre le courant de l’océan et celui du canyon naissent les vagues géantes de Nazaré. Pendant longtemps, ces monstres marins étaient synonymes de malheur, emportant des pêcheurs. Jusqu’au jour où quelques locaux ont eu l’idée d’inviter des surfeurs pour s’y mesurer. 

Tout commence à l’automne 2009, lors d’une compétition de bodysurf organisée par Pedro Pisco, alors responsable d’une agence de développement économique local, et son équipe. Au détour d’une conversation à proximité de Praia do Norte, la plage du nord, un participant souffle l’idée de défier les vagues immenses de cette plage. « À ce moment-là, on réalise le potentiel. Surfer ces vagues géantes peut devenir une possibilité », relate Pedro, maintenant âgé de 48 ans, en jouant avec son porte-clé à l’effigie de Praia do Norte. Promouvoir le surf autour des vagues géantes l’hiver devient alors une stratégie marketing pour développer le tourisme en basse saison.

L’année suivante, le projet débute, sans grande attente et presque en secret. « On avait préféré ne pas trop en parler en ville pour ne pas passer pour des fous », admet maintenant Pedro. Des vagues de dix à quinze mètres sont surfées par plusieurs professionnels sollicités pour l’occasion. Des vidéos sont prises et les sponsors commencent à arriver. 

C’est en 2011 que le phénomène prend de l’ampleur. Pedro et ses associés passent alors de deux caméras embarquées sur des jet-skis à deux hélicoptères pour immortaliser le vague parfaite. Cette fois-ci, l’équipe fait appel à un seul surfeur, Garrett McNamara, une star américaine du « surf de gros ». Le 1er novembre 2011, à la surprise de tous, la vague de Nazaré se réveille, d’humeur colossale. Dans la matinée, sans anticipation, Garrett brave un mur d’eau de 23,77 mètres à Praia do Norte. Le surfeur bat alors le record du monde de la plus grande vague jamais surfée. Le jour-même, les images presque irréelles font le tour des journaux télévisés du monde entier. Nazaré s’impose sur la planète surf. Depuis, le record a été battu à plusieurs reprises mais toujours dans cette petite ville de 15 000 habitants méconnue jusque-là.

« Ça a largement dépassé nos espérances »

Pedro Pisco

Dire que l’organisateur de cet événement majeur se souvient de ce moment comme si c’était hier serait mentir. Pedro Pisco dormait au moment où le surfeur américain s’est élancé sur cette vague haute comme un immeuble de sept étages qui a changé sa vie et celle de sa ville. « Ça a largement dépassé nos espérances », reconnaît-il. Cet enfant de Nazaré au style décontracté, davantage amateur de football que de surf, a tout appris sur le tas pour répondre aux attentes des meilleurs surfeurs du monde qui, désormais, viennent se confronter aux vagues de sa ville. Pedro aime se souvenir de cette histoire depuis le célèbre phare rouge. « J’envie ceux qui découvrent cet endroit pour la première fois », confie-t-il en scrutant l’océan. Pedro raconte que, lorsque la géante se réveille, le fort vibre sous l’impact des vagues, comme si l’océan s’apprêtait à exploser.

Pêcheurs et surfeurs dans le même bateau
Bateaux et jet-skis se partagent
les quais du port.
(Photo : Coralie Lamarque)

Même lors d’accalmies, atteindre les vagues de Praia do Norte à la nage relève du défi. Le courant reste fort en toute circonstance. Le départ se fait en jet-ski depuis le port, à l’opposé de la ville, où surfeurs et pêcheurs se partagent les emplacements. Sur les quais, il est fréquent d’y observer des surfeurs appliquer de la wax, une cire spéciale pour éviter de glisser dans l’eau, sur leurs planches avant d’embarquer. À présent, près de la moitié des entrepôts du port sont occupés par des surfeurs. 

Au numéro 20, se trouve Dino Carmo et ses jet skis. Ce Nazaréen de 32 ans a le teint hâlé toute l’année à force de passer ses journées dans l’eau. Le jeune homme fait partie des premiers à avoir saisi les opportunités offertes par ces vagues uniques, en lançant Nazaré Jet en 2014. Depuis, il jongle entre ses différentes activités de champion de bodyboarder, pilote de jet-skis pour le « surf de gros », professeur de surf et pêcheur amateur. « Mais le jet-ski, c’est ce que je préfère pour l’adrénaline », confie le pilote qui va au plus près des vagues pour conduire surfeurs et photographes.

Ironie de l’histoire, avant l’avènement de 2011, Dino fuyait Nazaré les journées de grosse houle pour aller bodyboarder ailleurs. À présent, les grandes vagues sont bonnes pour ses affaires. « Ça fait travailler tout le monde à Nazaré, tout le monde a une meilleure vie », appuie le jeune homme. Dans une autre vie, où l’engouement pour les grandes vagues de Nazaré ne se serait jamais développé, Dino aurait pu s’imaginer pêcheur comme son père. « Mais financièrement, la pêche c’est compliqué. Pour moi, ça reste un loisir », confie-t-il. 

Dino travaille régulièrement avec un autre Nazaréen, Luís de Sá, dit Ben. Caché derrière sa casquette et ses lunettes noires, Ben a toujours un œil rivé sur l’Atlantique. Lui aussi a su saisir sa chance auprès des vagues géantes. Avec son entreprise Above Creators, il propose des vidéos de surf filmées depuis des jet skis ou à l’aide de drones. Le Nazaréen de 33 ans n’a pourtant pas toujours vécu de ses productions. À 20 ans, Ben s’est engagé dans la marine militaire, pensant ne pas avoir d’avenir dans sa petite ville natale. « Je faisais des vidéos depuis toujours mais je n’avais jamais imaginé que je pourrais en faire mon métier », se remémore-t-il. 

Difficultés de logement

L’ancien marin se souvient avoir vu les images de Garrett McNamara surfant dans sa ville natale depuis la télévision de sa base militaire. Il réalise alors que les choses vont changer. « Tout le monde a été impacté par le 1er novembre 2011 », assure-t-il, tandis qu’il raconte la métamorphose de la ville. « Les vieilles nous criaient dessus quand, petits, on allait faire du bodyboard à Praia do Norte. Elles l’appelaient “le monstre”. Les maisons avec vue dessus étaient les plus dures à vendre. Maintenant, c’est l’inverse. »

À Nazaré, la ruée vers l’immobilier ne concerne pas que les maisons en bordure d’océan. En sept ans, les agences immobilières notent que le prix du mètre carré a doublé dans toute la ville. Ben lui-même n’a pas réussi à se loger à Nazaré alors qu’il estime bien gagner sa vie. Il vit dans la commune voisine mais considère que le sacrifice en vaut la peine. 

Dans sa reconversion professionnelle, l’ex-militaire a tout de même conservé la rigueur physique. Tous les matins, il fait du sport afin de toujours se sentir en condition pour affronter l’océan imprévisible ou répondre aux opportunités qui s’offrent à lui. Comme la fois où, au détour d’un café, il tombe sur le célèbre Garrett McNamara, désormais installé à Nazaré, qui lui propose de partir le filmer à Hawaï. Mais d’après Ben, tous les jeunes de sa génération n’ont pas su faire de même. « Nous avons fait quelques erreurs dans le développement de la ville. Beaucoup d’opportunités professionnelles ont été saisies par des personnes extérieures à Nazaré », déplore-t-il.

Luís de Sá, dit Ben, a quitté l’armée pour développer son entreprise
de production audiovisuelle à Nazaré.
(Photo : Coralie Lamarque)
Culture du surf difficile à ancrer

Dans son ensemble, Nazaré a réussi son pari. Les grosses vagues boostent le tourisme l’hiver. Désormais, quelques écoles de surf sont en mesure de rester ouvertes toute l’année, dont Surf4 You, celle de Miguel Delgado depuis trois ans. Le professeur de surf aux cheveux en brosse repeint son local en prévision de l’été qui reste un moment important pour la ville.

Mais la culture surf peine encore à s’installer à Nazaré. Les écoles de surf restent rares en ville en comparaison à d’autres célèbres spots. Seulement deux restent ouvertes toute l’année et quatre autres ouvrent temporairement l’été. Les touristes viennent du monde entier découvrir les vagues, sans pouvoir s’y frotter. « Les grandes vagues, ce n’est pas quelque chose qui s’enseigne, reconnaît le professeur de surf. Nazaré n’a pas le potentiel de Péniche pour des surf camps et des vagues tout niveau ». Pedro Pisco, à présent chargé des sports à la municipalité, ajoute que la Ville ne souhaite pas devenir « un énième spot de surf » mais plutôt que le surf s’adapte à l’héritage de la ville. Pour lui, Nazaré doit rester « un village de pêcheurs avec les plus grandes vagues du monde ».

(Photo : Coralie Lamarque)

Dans les boutiques de souvenirs, les miniatures des barques colorées accostées sur la plage centrale restent le produit phare. Les magasins d’articles de surf sont marginaux dans le centre-ville. À tel point que Rip Curl s’apprête à devenir la première marque à s’installer à Nazaré, place Oliveira Sousa. Les artisans posent encore les carreaux de faïence typiques du Portugal de la devanture. La boutique ouvre le 29 mars, pour le vendredi saint, un jour férié au Portugal. Une arrivée qui pourrait marquer le début d’une nouvelle vague d’opportunités déferlant sur Nazaré. 

Plus

This is a unique website which will require a more modern browser to work!

Please upgrade today!