: ciganosAvec le récent succès du parti d’extrême droite Chega aux élections générales au Portugal, la communauté gitane, déjà ostracisée, craint une aggravation des discriminations. Reportage à Loures, municipalité au nord de Lisbonne, où l’association Techari cherche à défendre l’identité gitane, envers et contre tout.
Au milieu des cris des enfants et du vrombissement des avions qui passent au-dessus de leurs têtes, trois musiciens ciganos sont assis au centre d’une cour ouverte et se lancent dans une performance endiablée. Leur chant et leur jeu de guitare invitent les enfants à la danse.
Les filles, aux ongles manucurés et aux cheveux tombant jusqu’à la taille, entrent dans l’arène, les mains en l’air, et se déplacent en rythme avec la musique. De temps en temps, un garçon quitte la foule des spectateurs pour rejoindre l’une d’entre elles et engage quelques pas de danse.
Organisé par l’association Techari (libre, en langue rom), qui promeut la culture gitane au sein de la communauté, cet événement marque la fin d’un mois consacré à la culture cigana (gitane) au collège Mário de Sá Carneiro de Loures, petite municipalité au nord de Lisbonne. Mais le caractère festif de l’événement n’occulte pas une inquiétude latente, grandissante même.
Lors des élections générales qui se sont tenues au Portugal au début du mois, le parti d’extrême droite Chega s’est hissé à la troisième place, avec 18% des voix. Il a quadruplé son nombre de représentants au parlement pour atteindre 50 sièges. Dans la ville multiculturelle de Loures, qui compte quelques 4 000 ciganos, l’une des communautés les plus pauvres du pays, le parti a obtenu 19% des voix. Il a doublé son score depuis les précédentes législatives en 2022.
Un soutien croissant de l’extrême droite
Ici, le soutien à Chega a toujours été légèrement supérieur à la moyenne nationale.
« Dans un contexte où l’importance de l’immigration est faible, la mobilisation de l’électorat contre d’autres minorités plus stigmatisées comme les ciganos semble plus efficace en termes de résultats électoraux au niveau local », souligne Alexandre Afonso, dans un rapport publié à la suite des élections présidentielles de 2021 qui démontre la corrélation entre un soutien plus élevé pour la droite radicale et la proportion de la population gitane.
« Nous sommes ici dans ce pays depuis plus de cinq siècles et nous continuons à ressentir de la xénophobie », lâche José Fernandes, 60 ans, président de Techari qu’il a créée en 2020. « Avec Chega, je ne crains pas pour moi, mais pour mes enfants et mes petits-enfants. »
Figure imposante de la communauté, cet homme de grand taille habillé avec soin, les cheveux coupés court, a senti monter la haine à l’encontre des siens au fil des années. Et il est bien placé pour le savoir. C’est ici à Loures que le leader de Chega, André Ventura, a tenu pour la première fois des propos racistes à l’encontre des gitans lorsqu’il s’est présenté à la mairie sous l’étiquette du Parti social-démocrate (PSD) en 2017. À l’époque, il avait affirmé que les ciganos « vivaient presque exclusivement des subventions de l’État ». Il avait échoué dans sa candidature à la mairie mais avait été élu conseiller municipal, avant de quitter le PSD en 2018. Il a fondé Chega un an plus tard. En novembre 2020, il a été condamné pour discrimination et harcèlement à l’encontre des ciganos par la Commission pour l’égalité et contre la discrimination raciale qui avait jugé que ses propos encourageaient « le discours de haine ». Il a dû payer deux amendes.
Le racisme enraciné
Ce « racisme structurel est légitimé par la rhétorique de l’extrême droite », soutient Olga Magano, chercheuse à l’Université Aberta sur les questions relatives aux gitans au Portugal. « La résurgence des récits racistes […] montre qu’au cours de l’histoire, les gitans ont été l’une des principales cibles d’une discrimination systématique et structurelle ancrée dans la société et dans les principales institutions », explique l’universitaire en ajoutant que le racisme quotidien est « profondément enraciné dans la société portugaise » et souvent perçu comme « trivial, normal et légitime ».
Bruno Gonçalves Gomes, directeur de l’association culturelle gitane Letras Nómadas, partage son point de vue : la situation est « très, très mauvaise » pour la communauté gitane dit-il, « car la rhétorique anti-gitane de Chega a permis au racisme caché du Portugal d’apparaître au grand jour. Avec le développement de Chega, les Portugais ont désormais plus confiance en eux pour afficher des préjugés racistes et xénophobes, plus que par le passé ». Une réalité confirmée par les chiffres : d’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 60% des gitans se sentaient discriminés en 2021, contre 47% en 2016.
« Aujourd’hui, Chega compte 50 députés. Peut-être que dans six ou sept mois, nous aurons une autre élection surprise et peut-être que Ventura sera élu, nous ne le savons pas, soupire José Fernandes. Mais nous ne pouvons pas faire l’autruche. Nous devons continuer à travailler. »
UN PARTENARIAT COMMUNAUTAIRE
En 2020, il a décidé de concentrer une grande partie du travail de Techari sur l’accès à l’éducation. En partenariat avec la municipalité de Loures, Techari a aujourd’hui douze médiateurs qui travaillent dans cinq collèges pour aider à intégrer les enfants gitans, encourager l’assiduité et créer une image plus positive de l’environnement scolaire. C’est la première initiative du genre au Portugal.
(Photo : Aisling Redden)
En janvier de cette année, l’association a ouvert son premier centre de formation à l’école Maria Keil, qui forme des médiateurs. Le directeur de l’école, Nuno Correia, confirme que l’initiative a permis d’améliorer considérablement les taux de fréquentation et le comportement des enfants. Le rôle des médiateurs est bénéfique non seulement pour les gitans dont le niveau d’éducation reste extrêmement bas par rapport à la moyenne nationale, mais aussi pour d’autres minorités.
Alors que José Fernandes et les médiateurs souhaitent insister sur les améliorations apportées par leur travail, la situation des gitans n’en demeure pas moins précaire. À commencer par les mauvaises conditions de logement et le manque d’opportunités de travail.
Des solutions de fortune
Après l’entrée en fonction d’un nouveau maire communiste en 2010, « rien n’a été fait » pour la communauté, selon José Fernandes, et aucun logement social n’a été construit, ce qui a contribué à la situation de surpeuplement que l’on connaît aujourd’hui. L’arrivée de Ricardo Leão (PS) à la mairie en 2021 a amélioré la situation, estime-t-il, avec une accélération de la construction de logements sociaux.
La municipalité affirme avoir mis en œuvre le plan stratégique de l’Union européenne adopté en 2020 pour soutenir les communautés gitanes, axé sur l’éducation, le logement et l’interculturalité. À la fin de l’année 2025, les citoyens de Loures voteront à nouveau lors des élections locales, qui, compte tenu de la trajectoire de ces dernières années, pourraient entraîner un nouveau changement dans le paysage politique de la municipalité.
« Le problème n’est pas seulement les 50 députés que compte aujourd’hui Chega, mais aussi le soutien dont ils bénéficient au niveau local », explique José Fernandes.
(Photo : Aisling Redden)
Les partenariats locaux comme celui de Techari « sont bons, mais ils ne sont pas suffisants », déclare Piménio Ferreira de SOS Racismo, une ONG portugaise. « Il est trop faible pour changer quoi que ce soit. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une politique nationale de lutte contre le racisme structurel à l’encontre des ciganos. »